
Faut-il aller aux îles Mentawai ? Faut-il aller voir des peuples qui ont gardé de fortes traditions ancestrales au risque de les détruire par notre simple contact ? Comment aller dans un endroit où il n'y a pas de routes mais seulement des rivières et des chemins boueux dans la jungle ? Faut-il prendre un guide depuis Sumatra ou le chercher en arrivant sur l'île ?
Ces questions me travaillaient, comme elles animaient d'autres routards, alors que je goûtais les charmes des environs de Bukittinggi. Finalement, 2 jours avant le départ du ferry (il y en a 2 par semaine), je décidai d'y aller et de le faire savoir à la ronde afin qu'un guide indonésien m'agrège à un éventuel groupe en partance.
Mais de groupe, il n'y avait que celui d'
Adeo , organisé depuis la France et que j'estimais au complet avec ses 7 membres.
Je partirai donc seul. Deux jeunes slovènes sont aussi en partance, sans guide, le soir. Et une Française, Jeanine, qui se jette sur moi pour me proposer de grouper nos forces. Pourquoi pas et pourquoi pas avec les 2 filles slovènes ? J'essaie de voir si les projets sont compatibles... Pour le groupe organisé de Français, c'est la sérénité d'un programme qui se déroule. Pour les individuels, tout reste à inventer.
Les Slovènes sautent du ferry, au petit matin, sans attendre personne, pour aller vers la ville, à 5 kilomètres. Je les file. Je suis de loin leur négociation avec un guide. Quand elles la croient aboutie, elles font un scandale sur des prestations qu'il avait annoncées comprises mais qui deviennent supplémentaires. Il ne veut plus y aller. Ils se rabibochent. Elles veulent bien que je me joigne à elles - il y a des frais fixes à partager - mais n'y montrent pas d'enthousiasme. Elles filent vers le débarcadère en mobylette avec leur guide...
Jeanine semble s'être agrégée au groupe des Français. Et je n'ai pas rencontré de guide convaincant. Je suis donc au point zéro. Se profile une nuit en ville pour chercher la clé pour la suite.
Au débarcadère, à midi, je demande tout de même où vont ces barques à moteur et ces pirogues qui partent ? En voilà une pour Matotonan : où est-ce ? Le village le plus éloigné en amont sur la rivière, sur la petite carte que je viens de me faire imprimer au bureau du parc national. 4 heures de pirogue à moteur. Il y a de la place à bord. Soit, départ dans une heure !
Me voilà donc parti vers le hasard, l'aventure ! Et l'aventure, après, c'est l'hébergement. Chez qui débarquer ? Et la nourriture. Me donnera-t-on à manger ? Je ne peux pas emmener une semaine de provisions comme les groupes organisés qui ont des porteurs. Comment se déplacer ? Je ne peux pas "trekker" entre les villages sans guide. Mais, c'est parti !
Comme dans la course au trésor, je rattrape et dépasse les Slovènes arrêtées sur la rive sur panne mécanique. Puis les barques des Français arrivés à destination. Plus loin que tous, je pars !
Une semaine plus tard, j'en ai eu des moments difficiles. Surtout au début, dans le village de Matotonan où la foule m'est tombée dessus pour m'arracher toutes les cigarettes du monde possibles, où les grandes déclarations d'amitié de mon hôte se sont terminées en exigences financières désagréables, où chacun voulait sa photo (vive les appareils numériques !). Mais aussi plein de moments à partager leurs palabres, leurs repas, le plancher dur de leur maison, la rivière où ils se lavent, leurs activités quotidiennes, une cérémonie pendant toute une nuit. Ne sachant jamais ce que serait le programme du jour, quand on me donnerait à manger ni quand ni comment rejoindre quelle destination suivante...
Les Slovènes, elles, ont fait vivre l'enfer à leur guide. Et probablement réciproquement. Bataillant pour faire respecter le contrat. Ne buvant que de l'eau en bouteille et se plaignant des conditions de confort. Pour finir, le ferry pour les ramener sur le continent a été annulé et elles ont dû payer les yeux de la tête pour affréter une vedette afin de ne pas manquer leur avion du lendemain !
Et les Français d'Adeo, cette aventure ? Eh bien, pas vraiment d'aventure ! Suivre le guide pendant les marches (certes difficiles et pénibles dans la boue, sur des troncs glissants, dans un paysage sans cesse renouvelé à l'identique). Se poser dans les maisons sélectionnées pour eux. La nourriture ? Ils ne l'ont jamais partagée avec les habitants puisque, après les avoir fait manger, leur guide nourrissait aussi la famille d'accueil, avec les produits ramenés de Sumatra. Le sagou que j'ai mangé tous les jours, ils l'ont juste goûté à titre culturel. Le porc qu'on me servait tous les jours ? Ils n'ont pas mangé de viande de la semaine. Les champignons, les petites moules de rivière..? Rien. Quant aux activités auxquelles ils ont assisté, il n'était que trop clair que les "démonstrateurs" étaient spécifiquement rémunérés pour chaque "show" et ils leur disaient quand il fallait prendre les photos !
Et la cérémonie à laquelle j'ai assisté une nuit entière - le rêve de tout "aventurier" aux Mentawai ! -, sans compter les plus petites liées à l'administration de "médicaments" traditionnels, ils n'en ont pas entendu parler alors qu'ils résidaient dans le même village que moi une nuit plus tôt !
Jusqu'au bâteau du retour où on les a amenés à 17.00 alors que je savais depuis midi que le départ était pour 22 ou 23.00 !
Résultat, ils sont revenus avec l'impression que les populations qu'ils ont rencontrées vivaient du tourisme en se livrant à une sorte de mise en scène à leur intention. J'ai, moi, vu des gens s'occuper tous les jours de leurs bêtes, partir à la recherche de leur nourriture dans la forêt (sagou, durian...), et pratiquer des rituels auxquels ils accordent une importance vitale. Pas le même voyage !
Pas le même prix non plus ! Sur les 2300 € qu'ils ont payé pour 3 semaines à
Sumatra (vol compris), peut-être 500 € pour l'expédition Mentawai ? Elle est vendue (la même puisque ce sont les mêmes guides locaux, mais sans l'accompagnateur français qui, dans le cas d'Adeo, ne parlait pas indonésien, à peine anglais, et n'avais jamais mis les pieds dans le coin. S'il avait été débrouillard, encore...) autour de 180 € à Bukittinggi. A peine moins sur place. Et les 9 jours, ferry compris, ont dû me revenir autour de 80 €.
Et encore, une arnaque vendue par
Native Planete , sous couvert d'éco-tourisme humanitaire, où un Jean-Philippe se propose de vous emmener dans sa "famille adoptive", chiffre à 3395 € !!! (sans vols)
Alors, amis zorganisés, j'ai pitié pour vous. Certes, quand on ne parle pas indonésien - déjà que peu parlent indonésien sur l'île -, s'engager seul nécessite un gros coeur. Mais vous le faire, comme on vous le fait, est-ce que ça vaut le coup ?
PS : qui est-ce qui vient se le refaire en "sauvage" avec moi ?!