dimanche 27 septembre 2009

Le propriétaire - ACTE II


Nous avions laissé B. alors qu'il embarquait pour la France après s'être délesté d'une brique de billets en échange de quelques signatures sur des papiers.

ACTE II

Scène unique
Mai 2009. B. pense qu'il est dangereux de laisser le champ vacant trop longtemps et que, même si le certificat de propriété de son terrain n'est pas encore sorti, au bout d'un an, alors qu'on le lui avait annoncé en 4 mois, il convient d'aller voir sur place quel tour on pourrait être en train de lui jouer. D'ailleurs, Ibi lui indique à distance que cela ne saurait plus tarder. Et, la veille du départ, que ça y est ! Youpie !
En réalité, si le document existe bien - et Ibi en a une copie - il n'est pas signé de la chef du cadastre. Il faut attendre quelques jours. Et après quelques jours, quelques jours. Et après quelques jours... B. décide qu'il ne peut pas passer sa vie à attendre et ira se distraire à Sumatra, même si on le supplie d'attendre encore... quelques jours.

Il se contentera de faire signer un des documents de la liasse "légale" pour améliorer sa protection : une reconnaissance de dette de la part du prête-nom, du montant de l'accompte versé un an auparavant. Quand Ibi découvre ce document, qu'il avait survolé l'année précédente, il blémit. Etre endetté, pour un musulman, semble relever du cas grave. Et Ibi ne veut pas laisser de dettes à ses enfants. Le taux d'intérêt l'effraie encore plus que le montant de la reconnaissance de dettes.
B. envisage de changer de prête-nom, ce qui, formellement, consiste à revendre le terrain à un nouveau prête-nom. Mais cela ne peut se faire qu'après la sortie du certificat de propriété, implique un délai supplémentaire, et des frais difficiles à prévoir, pour boucler l'affaire.
Donc, dans l'immédiat, il ne reste qu'à faire admettre à Ibi que cette dette n'en est pas réellement une, qu'elle est garantie sur le terrain dont il devient nominalement propriétaire et qu'il n'aura, en réalité, jamais à débourser la somme.

Maigre résultat que ce déplacement : B. ne repartira qu'avec une reconnaissance de dette dont il prendra sa copie chez la notaire en allant à l'aéroport. Mais, ni notaire, ni document au moment prévu ! Ils sont à la signature chez le notaire titulaire à la capitale de l'île. L'avion n'a pas le temps d'attendre : rendez-vous à un rond-point près de l'aéroport pour remise du document. Ouf !

B. est à Sumatra depuis quelques jours quand la nouvelle tombe : ça y est, le certificat de propriété est signé, et sous bonne (?) garde du chef du village.

photo : repas de ramadan chez Tarip : OK, ça a rapport à l'acte III, mais c'est un teaser !

mardi 22 septembre 2009

Mes philosophes


Mes philosophes préférés (pardon à eux que je connais à peine et que j'ai forcément caricaturés : qu'ils laissent un petit commentaire pour redresser le tir et nous raconter leur actualité):

Pierre a quitté les tapis rouges du festival de Cannes, Pathé, et le clinquant du cinéma à la cinquantaine. Où se retirer de ce monde où la finance prend le pouvoir : Brésil, Indonésie ? Après plusieurs reconnaissances, il a construit sa villa face à la mer, à Kuta-Lombok, pour y vivre avec ses livres et ses chevaux, ses couverts en argent et sa vaisselle en porcelaine, à l'écart des tumultes du monde. Les promenades équestres pour les touristes étaient presque son seul lien avec l'extérieur. Mais il a commencé à louer sa villa et les affaires marchent mieux que prévu. Le monde du dehors pourrait-il le rattraper dans sa retraite ? Il jure qu'il s'enfuira en courant... ou en nageant !

Alexandre n'a pas 30 ans et se débrouille dans une dizaine de langues, dont le polonais, l'arabe, l'indonésien, le thaï, le laotien, le birman, le créole réunionnais, l'espagnol... Il est un peu tombé dedans quand il était petit en habitant au Maroc avec ses parents. Alors, depuis quelques années, il ne pose le sac à dos que pour exercer dans l'hôtellerie : une orientation délibérée pour passer sa vie en vadrouille, travaillant à l'occasion, et profitant, toujours. Il s'installerait bien un peu en Asie. Un heureux de naissance ?

Marc va sur ses soixante dix. Il a fait carrière. Directeur de cimenterie à l'étranger... Autant dire qu'il n'est pas dans le besoin. Je le rencontre dans un vieux bus branlant. Il m'explique comment il a réparé ses lunettes de soleil en scotchant un cure-dents. Le luxe, les hôtels chers ne lui font plus aucun effet. Ce rondouillard se promène à quatre sous, un sourire narquois au-dessus de sa barbe blanche. Et quand il rentre en France, son programme, c'est le jardin, la cueillette des pommes au verger, les confitures et... la préparation du prochain "petit déplacement" (en l'occurence la Syrie, à la frontière irakienne, en ce moment : villes disparues, berceau de l'écriture).

Christophe est arrivé à Kuala Lumpur en cargo. Un mois en mer pour faire le break d'une vie dévorée par le travail. C'est peu dire qu'il s'est adapté au milieu ambiant. Il se dit voyageur débutant, mais il est comme un poisson dans l'eau au "village", le backpackers le plus cooool de Kuala Lumpur. On jurerait qu'il a fait ça toute sa vie ! Sa nouvelle foi : la semaine de 4 heures. En rentrant en France, il veut tout laisser tomber "sauf 4 heures par semaine", caser ses affaires chez ses parents, et mettre les bouts avant Noël pour ne pas laisser filer la quarantaine.

Martin est un ethnologue en devenir. Enfin, ça l'intéresse plus de vivre avec les habitants de la forêt des Mentawaï que d'écrire sa thèse sur l'impact du tourisme sur l'île. Donc, deviendras-tu réellement ethnologue, Martin ? Où en est-elle, cette thèse ?!

Et puis bien-sûr Spinoza et Nietszche, mais on ne les a pas vus au "village".
Et tous ceux qui parlent une langue étrange(re) et qui sont donc forcément moins philosophes.

Et un cycliste espagnol aperçu filant de Kuta-Lombok avec une carte accrochée à l'arrière du bagage. Ca partait d'Espagne en 2006 pour se terminer je ne sais où en 2014. Il avait déjà fait le plus gros de l'Indonésie sur son vélo (plus toute la route pour arriver là !) : comment peut-on se lancer dans cette circulation de fou et ce climat propice à la sieste à travers les îles indonésiennes ?! Et comment peut-on savoir qu'on va rentrer en 2014 quand on se souvient à peine depuis quand on est parti ?!

lundi 21 septembre 2009

phot' au jour le jour

























Christophe (C.) le fait bien mieux que je ne le pourrai jamais. Alors, pourquoi me casserais-je la tête ?

Allez plutôt plonger dans son regard, ses choses qui font battre le coeur ! :

Il s'est astreint à une règle de fer : publier en date de chaque jour une photo du jour même. Ce ne sont donc pas ses 100 meilleures photos, mais la meilleure photo de chacun de ses 100 jours en chemin. Son calendrier risque de s'interrompre pour cause de retour en France mais rien n'empêche de feuilleter les derniers mois pendant les longues soirées d'automne.

vendredi 18 septembre 2009

Premier tremblement


7.06 h du matin, Bali, peu après le lever, l'hôtel entre en résonance. Comme un métro qui passerait sous un vieil immeuble parisien. Une vibration rapide, pas une oscillation. Un bruit de roulement. Ou un tir en rafales. 3 secondes peut-être. 2 secondes d'interruption - mais est-ce bien sûr ? Ca va si vite -. Et encore 2 secondes, comme une deuxième rame de métro. On court à l'extérieur du bâtiment. Le coeur bat la chamade. Les automobilistes et les motocyclistes qui circulent normalement dans la rue se sont-ils rendus compte de quelque chose ? Tout est déjà fini.
Les journaux métropolitains n'en parleront pas. Heureusement, votre envoyé spécial était sur place !

PS (courtoisie du Bali post) : 6.4 sur l'échelle de Richter. Epicentre à 120 km de mon lit, et 36 km sous terre. Quelques dégâts tout de même, dont un temple, probablement déjà branlant. Et quelques blessés, probablement dégringolés trop vite des escaliers pour s'extraire de chez eux.

photo : gunung Agung, point culminant de Bali. Comment illustrer un tremblement de terre quand il n'y a pas de constructions dévastées ?!! Agung a fait des siennes pour la dernière fois en 1963 (et moi pour la première) où il a enterré pas mal de monde. Une force tellurique, lui aussi, donc.

jeudi 17 septembre 2009

Le propriétaire - ACTE I


"Le propriétaire", un drame en 3 actes (ne respectant toutefois pas forcément tous les canons d'unité de lieu, de temps et d'action, de la tragédie grecque) sur les rives enchantées de l'océan indien.

ACTE I

Scène 1
B., un Français au milieu de la quarantaine, dîne tranquillement au Bong's café à Kuta-Lombok, en mai 2008. Mambo, le jeune et entreprenant patron de l'endroit, vient bavarder et lui demande s'il ne veut pas acheter un terrain : "Non, pas particulièrement, je suis juste là pour voyager. Pourquoi, vous vendez un terrain ?" Et d'expliquer qu'ici tout le monde achète et vend, et va faire fortune ! Un aéroport international est en construction à 15 km de là (l'actuel est à 60 km et ne reçoit que des vols domestiques, qu'on ne peut pas acheter depuis l'étranger car toutes les compagnies indonésiennes - à l'exception de Garuda, récemment réhabilitée - sont en liste noire).

De fait, un trio franco-indonésien, expatriés de Jakarta, s'installe pour diner. B. les entend parler foncier. Le trio se retrouve en discussion d'affaires avec Mambo et ils concluent de visiter un terrain le lendemain matin, avant leur avion pour Jakarta. B. sollicite de se joindre à eux pour voir de quoi il retourne. Et les voilà de bon matin, traçant dans la broussaille jusqu'à ce que se révèle la magnifique côte, découpée, ourlée de plages de sable blanc, et ponctuée de caps et de sculptures dignes de l'aiguille creuse chère à Arsène Lupin. De là à investir... B. préfère continuer ses vacances sans y penser.

3 jours plus tard, à un mariage où B. s'est invité, Ibi, un jovial local lui confie avoir un terrain à vendre, et annonce un prix du tiers de celui du terrain visité avec les Français. Mais, bon... Mambo aussi a d'autres occases à montrer. Et il veut s'associer (grosso modo avec quelqu'un qui fournisse le capital et partage les bénéfices au moment de la revente !).

Scène 2
Quelques jours plus tard, B. ayant 3 jours à "tuer" avant son retour vers la France, décide de revenir à Kuta et élucider ces terrains. Un premier tour d'horizon avec Mambo : non.
En vue de la dernière visite, avec Ibi, B. va se ravitailler en eau . Et voilà que la jeune vendeuse lui demande s'il ne veut pas acheter un terrain. "Pourquoi pas ?! Mais à condition d'aller le voir immédiatement." Son mari, Tarip, grimpe sur la mobylette de B. et les voilà partis... pour 20 m, car ils tombent sur Ibi : "C'est le même terrain que je voulais te montrer !", dit-il. Tant mieux, voilà du temps de gagné, mais, qui est réellement propriétaire de ce terrain ?!

Visite avec Tarip. Il se trouve que le terrain est immédiatement mitoyen de celui visité avec les Français, mieux orienté, plus accessible (même si la maîtrise foncière de l'accès n'est pas acquise) et... 2 fois moins cher que son voisin ! (le prix a déjà monté depuis l'annonce par Ibi !) Logique, B. plonge sans attendre et déclare à Tarip qu'il l'achète !

Scène 3
Rendez-vous est pris avec le vrai propriétaire du terrain, le père de Tarip, et le chef du village pour le début d'après-midi. Ce dernier organise le passage chez le notaire pour le lendemain, samedi matin. Et lance sur le tapis le montant de "l'impôt" à lui verser. Comment contester ou demander de justifier ?

Outre la quasi-impossibilité qu'il y a à savoir ce qu'il faudra payer à qui et pourquoi, devenir propriétaire en Indonésie présente une difficulté qu'il faut tout de même signaler : un étranger ne peut pas devenir propriétaire ! Il lui faut donc un prête-nom autochtone. Et les juristes et notaires ont mis au point un imposant arsenal d'actes pour détourner la loi en conservant au payeur la maîtrise de son investissement, et retirer quasiment tout pouvoir au prête-nom. Accessoirement, tout ce fatras juridique les enrichit...

Il se trouve que B. a déjà tous les modèles de documents en poche, récupérés en vue d'un autre projet, tué depuis. Mais pas bien le temps de mettre tout cela en oeuvre dans cette phase initiale : il a son avion pour Jakarta puis la France le mardi matin. On fera avec les documents du notaire pour la promesse de vente et l'accord de prête-nom. B. a beau expliquer que ces 2 documents doivent être "adossés" (comporter les mêmes clauses) et qu'il est dangereux de signer la promesse de vente samedi alors qu'il se réserve le dimanche pour relire le contrat de prête-nom et demander d'éventuelles modifications. Rien n'y fait. Il arrive juste à faire rajouter une clause prévoyant la possibilité d'annulation de la vente si le cadastre n'émet pas le certificat de propriété dans les 6 mois. Car le terrain relève d'une propriété coutumière et il convient de passer à un certification plus formelle. Quant à expliquer que la somme à restituer devra être augmentée d'un intérêt annuel, mais appliqué au prorata du temps observé, correspondant à ce que la banque aurait rémunéré son argent, c'est un challenge.

Lundi matin, B. retire, à la banque, l'acompte à verser. Les machines comptent 1700 billets. Une grosse brique. B. fait une première fausse sortie pour vérifier qu'on ne l'attend pas avec un couteau au coin de la rue -il avait lâché le nom de sa banque à ses vendeurs !-, puis s'engouffre dans un taxi, direction le notaire.

Ambiance de fête : tout le monde est là ! Le vendeur et sa femme. Son fils Tarip avec femme et enfant. Ibi, qui sera prête-nom, et sa femme. Le chef du village, celui du quartier. Et B. qui remet le gros magot au vendeur, un petit au chef du village qui se charge d'obtenir le certificat de propriété auprès du cadastre et un plus petit encore à la notaire, alors que tout le monde signe et applique ses empreintes digitales. La notaire remercie B. pour les enseignements qu'il a prodigués dans la rédaction des clauses des documents signés !

Direction l'aéroport pour B. qui a conclu l'affaire en 72 heures, dont 36 non ouvrables !
Et rendez-vous une fois le certificat de propriété émis par le cadastre pour le deuxième acte.

mardi 8 septembre 2009

Coeurs à prendre


Une petite activité pour arrondir mes fins de mois : je vous proposerai désormais une sélection de jeunes personnes bonnes à marier.
Mes honoraires sont transparents : l'équivalent de ce que vous aurez à offrir à la famille de l'épousée en guise de "dot", soit, en général, quelques (tout est négociable en Indonésie) buffles.



Cette semaine, en exclusivité, donc, je vous propose :

Rina

Rina est une jeune femme Minangkabau (la plus grande société matriarcale du monde - vous ne serez donc peut-être pas le chef à la maison -, située à Sumatra), récemment divorcée, et confiée par son père à George, un Hollandais de 50 ans, musulman depuis 30, et marié depuis 10 avec Nelli, autre jeune femme Minangkabau. Rina les aide ainsi à tenir un restaurant et un petit hôtel à Lombok, où j'ai séjourné 2 fois et n'ai jamais vu grand monde : un job pas épuisant qui lui permet de garder toute sa fraicheur. D'autant que comme beaucoup de divorcées en Indonésie, elle a laissé son enfant aux bons soins de sa mère à Sumatra.

Rina est toute frêle et toute mignonne. J'aimais bien lui jeter des petits coups d'oeil tendres. Mais, avec Nelli, elles m'ont monté un plan, alors que je viens récupérer ma mobylette à leur petit hôtel en rentrant d'un séjour sur les îles (gili Meno).

C'est Nelli qui fait le boulot pour sa copine : est-ce que je ne la trouve pas mignonne ? Est-ce que je ne voudrais pas l'épouser ? Certes ! Tout de suite ! Je l'emmène sur ma mobylette ! Sauf que ce sont de bonnes musulmanes : il faut se marier d'abord. Un problème car acheter direct sans période d'essai n'est plus dans les moeurs européennes. Alors, on a juste le droit d'aller se promener ensemble à la cascade, ou au centre commercial, mais à condition d'être rentré le soir. Elle aimerait voyager ? Oui, dit-elle. Mais les Indonésiens ne voyagent guère au sens européen du terme. Ils vont là où ils ont à faire. Et puis épouser une musulmane en Indonésie, il faut être musulman. Certes, Nelli me cite un Américain qui s'est converti pour se marier et qu'on n'a jamais vu à la mosquée depuis. Mais, bon, j'ai déjà assez du fardeau catholique pour ne pas ajouter un Coran dans le sac.

Bref, j'ai gentiment indiqué à Rina qu'on y réfléchissait et qu'on en reparlait lors de mon prochain passage. Elle était déjà occupée à la prière au lieu d'être sur le pas de la porte avec son mouchoir alors que j'enfourchais ma mobylette : un mauvais point.

Donc, je cède au plus offrant cette jeune beauté qui parle anglais et sera parfaite pour les taches ménagères, qu'elle m'a d'ailleurs citées comme étant ses principaux hobbies, en sus de la télévision.


Anisa

Je tombe sur Anisa dans la ferme où Martin, l'ethnologue, m'a déposé, au bord du fleuve, à une bonne heure de pirogue de Siberut, aux îles Mentawaï. Son père est un sikerei, donc un quasi tout nu avec un pagne local, mais elle vit (hélas !) habillée. C'est qu'elle connaît les moeurs du monde. Elle a étudié et vécu "sur le continent", à Padang, où elle a rencontré un Minangkabau qu'elle a épousé. Elle a, pour ce faire, demandé la permission à son père mais sa famille n'a pas fait le déplacement à Sumatra pour le mariage. Un mariage entièrement dans la famille du mari, donc. Puis son père est venu à Sumatra pour rencontrer le jeune marié, mais celui-ci n'est pas apparu : trop occupé. Anisa est revenue sur son île pour accoucher mais son mari ne l'a pas accompagnée. Le père a réclamé que son mari vienne la récupérer pour qu'elle reparte vers Sumatra. Et le mari a exigé qu'elle rentre toute seule. Situation bloquée. Son petit doit avoir 1 an et demi, maintenant. Nous pouvons donc considérer Anisa comme implicitement remise sur le marché.

Une occasion unique pour avoir un beau-père homme fleur.
Parle anglais, sait cuire le sagou, et tenir une ferme.
Ici encore, il s'agit d'un lot, avec l'enfant, et la belle famille.
En photo ci-dessus.

La France est un pays merveilleux


Comment diable se fait-il qu'en travaillant une heure d'un côté de la terre (d'accord, plutôt une heure de consultant que de caissière de supermarché), on puisse vivre une semaine de l'autre (plutôt en routard qu'au Hilton, certes) ? Nous sommes nés dans un pays merveilleux ! Miracle sans cesse renouvelé. Et si quelqu'un pouvait me démontrer que le bon Dieu en est l'auteur, sûr que je croirais instantanément en lui !

Même la Malaisie, qui est pourtant un pays développé où les gens circulent dans des belles bagnoles et habitent des gratte-ciel, et où il y a autant d'hôtels 5* à Kuala Lumpur qu'il n'y a d'hôtels tout court dans la communauté urbaine de Lille (juste 30% d'habitants en moins) - vous avez encore du boulot, Mr Bonduelle pour faire entrer la capitale nordiste dans le concert des grandes villes mondiales ! - n'empêche, on peut avoir sa chambre pour 4 € au coeur de la capitale , manger pour 1 € (la moitié, même), et prendre un bus sur 200 km pour 3 €. Tiens, et même Singapour, sous le regard des cages à fric des golden boys, on se lèche les babines pour 1 € aussi !

Alors, quand on croise des touristes partis pour quelques semaines avec des formules tout compris depuis l'Europe, et qu'on évoque le retour au pays, ils disent "oui, parce qu'il faut bien aller gagner de l'argent de temps en temps. Voyager, ça coûte cher !" Ah bon, voyager ça coûte cher ?!!!

Alors, florilège de "coûte cher" :

- l'avion ? L'aller Padang (Sumatra, Indonésie) - Kuala Lumpur (Malaisie) : 18 €. L'aller-retour Kuala Lumpur - Bali : 78 €. Kuching (Borneo) - Johor Bahru (près de Singapour) : 11 €. Merci Air Asia, d'avoir rapetissé l'Asie du sud-est !
A vrai dire, avec mon Toulouse-Singapour à 530 € A/R, j'ai longtemps tenu la corde, jusqu'à ce qu'un Polonais vienne me casser le moral avec un Rome-Bangkok (AS) à 100 € (parait même qu'on pouvait l'avoir à 20 € à un moment !!). blu-express.com serait le fauteur de ce dumping (pas disponible à l'instant où je clique). Air Asia donne la réplique depuis Londres.

- Le ferry Bali-Lombok ? 2.20 € pour 4-5 heures de traversée.

- une mobylette ? 3 € par jour plus l'essence : 1 € pour 100-150 km (0.30 € le litre).

-une planche de surf ? Moins de 3 € la journée sur la plage de Kuta.

- un guide lonely planet ? Arrivé à Kuala Lumpur sans guide de voyage, j'en emprunte un à mon hôtel. Le soir, je parviens à échanger mon guide d'Indonésie contre celui de Malaisie dans un autre hôtel. Et un voisin de dortoir me dépose sur mon lit un guide qu'il avait trouvé... Me voilà à la tête de 3 lonely planet de Malaisie ! Je rends le guide emprunté. Je récupère mon guide d'Indonésie. Et ça fait tout de même un guide de Malaisie empoché !

- une paire de baskets ? J'avais emporté une paire à finir. Elle redescend de justesse du volcan Merapi de Sumatra. Mais, pour aller marcher chez les Mentawai, il faut que je me rééquipe, ce que je confie incidemment au gentil "concierge" de mon hôtel. Il me signale des chaussures d'occasion en vente au marché (parce que, non seulement les Asiatiques fabriquent nos chaussures de sport, mais encore ils finissent de les user quand nous ne les trouvons plus assez bien pour nous ! Les Boliviens font de même...) Mais, tout de go, il m'en sort une paire laissée par un voyageur. Me voilà rééquipé pour 2 € de pourboire !

- une remise en état de bonhomme ? L'hôpital de Kuala Lumpur fonctionne sur un principe de forfait : 3 € pour la consultation, l'analyse de sang, et les médicaments ! Peut-être l'hospitalisation aussi, mais je n'ai pas testé !

- un dîner ? J'étais installé dans un boui-boui de Little India (KL). Un Pakistanais se pose sans préavis en face de moi. J'engage la conversation, comme je crois la politesse me le commander. Mais mon interlocuteur n'est pas loquace. Je n'insiste pas. En partant, il me glisse qu'il a réglé mon addition ! Nous n'étions donc pas fâchés ! Je me demande si l'Islam ne recommande pas à ses adeptes d'avoir un invité à leur table ? Finalement, je pourrais aimer l'Islam !

- un bouquin ? 10 bouquins, c'est ce que j'aurai lu après 4 mois (OK, pas un record : si je m'ennuyais davantage...). Mise de départ : 2 bouquins. Reste à l'arrivée : 2 bouquins (pas les mêmes). Argent réinjecté dans le système : 2 €. Pour le reste, emprunts, échanges...

- une heure d'Internet ? 0.18 € dans quelques villes indonésiennes (pas partout). Même 0.10 € avec un forfait nuit à Mataram. Sans compter la nuit d'hôtel économisée ! Mais, même moi, surfer de minuit à 7 heures du matin pour gagner 8 centimes, je peux pas !

- un SMS ? 0.007 €, après tout de même avoir fait l'acquisition d'une carte SIM indonésienne (disons 0.40 €).

- une fille ? Non, euh, là...

- ... et je ne dois pas oublier l'argent que je ne dépense pas en France, en laissant mes affaires à la garde de mes parents. Qu'ils en soient remerciés, même si (et d'autant plus que ?) ils ne le font qu'à contre-coeur.

Alors, faut-il vraiment rentrer pour refaire de l'argent ?!!!

J'aurais pas dû vous raconter tout ça. J'aggrave mon cas. Alors, c'était comment les soldes d'été, cette année ?!

Photo : à la piscine de mon hôtel à 5 € la nuit en bungalow, petit-déjeuner compris, à Kuta-Lombok.

lundi 7 septembre 2009

Biographie non autorisée



Voilà que le premier bouquin que j'ouvre dans l'avion de Singapour... je tombe sur ma biographie ! Tout au moins dans les premiers chapîtres, car, ensuite (et même avant), l'auteur a pris quelques libertés. Jugez vous-même !

"chapître I

Chaque famille classique se doit d'avoir un raté : famille sans raté n'est pas vraiment une famille, car il lui manque un principe qui la conteste et lui donne sa légitimité.

L'oncle a quarante ans et vit dans un studio de trente mètres carrés : c'est comme une chambre d'enfant, mais sans parents. La surface occupée par l'oncle est inversement proportionnelle à son âge : quand il avait trente ans, il disposait d'un appartement de cinquante mètres carrés.

L'oncle souhaite que sa mère aille poursuivre chez les morts sa passion pour les maladies et ses bavardages inintéressants. Non qu'on s'ôte ainsi de l'âme une telle écharde, mais la disparition physique d'une personne procure certainement des avantages définitifs.

L'oncle a accumulé des erreurs de parcours réjouissantes, qui confortent la famille dans ses choix justes et nobles : chômage, divorce, absence de descendance, concubinage avec des femmes divorcées, insertions ratées dans des foyers monoparentaux, etc.

L'oncle a été dans les meilleurs institutions, mais n'a pas produit les fruits qu'on en attendait. Car, reconnaissons-le, un enfant reste un investissement. Autrefois, époque bénie, la mortalité infantile se chargeait d'éliminer de braillantes erreurs. Le père de l'oncle, fervent polémologue, évoque avec une certaine nostalgie l'heureux temps où les guerres estivales, chaque année, jouaient aussi leur rôle dans l'extermination d'un excédent de jeunes mâles. Aves les progrès de la médecine et de l'hygiène, avec la raréfaction des conflits dans les pays riches, c'est à la famille que revient le rôle d'étouffer, à huis clos et bien plus subtilement, les branches pourries. Quoi qu'on en dise - aimons ce genre de formules... -, une famille classique est d'abord une machine à sélectionner, et d'enfant en enfant, elle réagit plus ou moins heureusement dans sa façon d'accueillir une vivante nouveauté.

Outre ses errements sociaux, dont la sanction la plus irréfutable est sa scandaleuse absence de bonheur et d'enfants, l'oncle réunit sur sa personne une série de tares classiques : il fume environ quarante cigarettes par jour, soit, en admettant qu'il ait accès au sommeil, deux et demie par heure. Il boit. Il est vélléitaire. Il est sexuellement obsédé.

L'oncle incarne donc admirablement la figure du raté indispensable à l'équilibre de la famille, en ceci qu'il s'est écarté - ou l'a-t-il été ? - de toute fonction reproductrice, et qu'il offre aux siens l'inquiétante et désirable image d'un décalage exotique. Il est fils et oncle, il a nièces et neveux, mais en aucun cas il ne peut prétendre être père, bien qu'à quarante ans le désir d'enfant le tourmente presque autant qu'une femme : mais à cet âge un homme se heurte à une limite, qui n'est certes pas physiologique mais symbolique.

Ecrivant ces lignes, un matin de février, il suçote une bière avec extase, avec le sentiment ancien et joyeux d'avoir malgré tout raison. Il est midi. Il y a du soleil. La bière fraîche coule le long de son coeur.


chapître II

Par où commencer ? Ainsi commencent les mauvais livres, les livres ratés. Mais, avec l'âge et la certitude d'avoir de la valeur, on manipule sans danger les clichés.

Car l'oncle a eu de la valeur. Du moins, on entretient sournoisement cette légende : une famille qui prétend à l'exception produit nécessairement un raté de grande envergure. L'oncle est potentiellement la plus grande réussite de la famille, un investissement à très long terme pour un risque minime. Combien de fois lui fallut-il entendre qu'il aurait pu accomplir ceci ou cela au royaume des choses intellectuelles ? Mais l'oncle n'a aucun honneur, ses résolutions du matin s'effondrent au crépuscule comme du sable. Son âme est "inerme et languissante", selon l'expression d'un enviable Portugais, poète, fumeur d'opium, auteur d'un seul recueil, qui alla s'avachir agréablement à Macao vers 1900 en compagnie d'une Chinoise et d'une tuberculose.

Observons donc une famille classique composée de cinq membres. Notons avec étonnement que sur les trois fils un seul a fait oeuvre de descendance : quelle famille peut s'enorgueillir d'un tel optimisme, d'une telle pulsion de vie ? Produire deux êtres humains réclama la coopération de pas moins de six personnes, en comptant l'aide d'une généreuse génitrice qu'on se résigna à importer par nécessité. Mais peut-être faut-il ajouter au nombre des conditions qui favorisèrent une productivité si extraordinaire les quelque dix mille volumes savants, la trentaine d'années supérieures, essentiellement masculines, que possède au total cette brillante fourmilière ?

Chaque être visiblement une tendance à émettre des jugements sur les autres, généralement négatifs, et à raisonner en termes de hiérarchie. Le but de celui qui raisonne ainsi est bien évidemment de dominer les autres, ou de croire qu'il les domine. A cet égard, la famille de l'oncle est une fabrique de jugements et de hiérarchies très performante. Son terrain est la chose intellectuelle. Pour d'autres familles, ce sera l'argent, ou le pouvoir, ou une quelconque position sociale. Parfois, toutes les conditons sont réunies. Le sommet intellectuel de la famille de l'oncle est l'ainé, sur qui se sont concentrés tous les investissements. Perchée sur son rocher comme dans un zoo, la famille lance des anathèmes et compatit aux échecs : le monde se divise en concours, grandes écoles, rangs, disciplines nobles et vulgaires, carrières, etc. Prenons un exemple : vous êtes professeur. Pour approcher l'Olympe d'où l'on vous considère avec amabilité et ironie, il vous faut répondre à des critères somme toute banals, du moins aux yeux de votre juge : tel concours, telles discipline incluant le grec et le latin, telle école prestigieuse, tel rang. Admettons que vous ayez franchi ces étapes : l'on vous écoutera soudain distraitement, avec un sourire navré, si l'on apprend que cette école prestigieuse n'est pas située dans la rue à laquelle on pensait. Quelle rue ? La rue. Mais soit... Admettons que votre école soit dans cette fameuse rue. La sympathie vous est acquise, on sent une camaraderie détendue. Mais un second interrogatoire vous attend : discernez vous de la compassion chez votre interlocuteur ? c'est que votre carrière, vos publications sont sympathiques, mais un peu éloignées de l'idée qu'on se fait ici du sommet. Un sommet aussi médiocre que le coeur de celui qui raisonne ainsi.
..."
Pierre Mérot, Mammifères, Flammarion 2003 (ou J'ai lu 2005).

Alors ? ;-))