mercredi 29 juillet 2009

Ma rencontre avec l'homme fleur


Me voici installé dans mon sampan, ma pirogue à moteur, taillée dans un tronc d'arbre. Il y a du roulis à l'embarquement. 4 heures là-dedans, vais-je tenir ? Je me souviens l'expédition avortée à Ganvié, au Bénin, il y a bien longtemps. Nous avions trop craint pour nos appareils photos, portefeuilles, et peut-être notre vie, et imploré notre commandant de bord de rentrer au port après seulement quelques dizaines de mètres.

Mais la stabilité vient avec l'élan. Mon pilote nous engage dans des virages tout en fluidité. C'est pur bonheur sur ce petit fleuve baigné de verdure. Après les tergiversations et les incertitudes liées au montage de cette expédition, c'est pure décontraction et relâchement. Je pense à ceux qui, en France, sont peut-être au rapport devant leur chef de service...

Peu à peu, la rivière se fait plus étroite, moins profonde, plus tournicotante et encombrée. Le pilotage devient un art maîtrisé par mon pilote. Une averse. Le ciel s'assombrit. La nuit arrive. Quelques efforts encore dans la pénombre. Mais nous n'arriverons pas à destination ce soir, à une demi-heure près. Arrêt près d'une "maison à cochons", une maisonnette en bois sur pilotis, toute ouverte, destinée à faire abri lorsqu'un habitant vient nourrir ses cochons ou chercher des produits de la forêt à quelque distance de chez lui.

Mes marins ne sont pas cuisiniers. Ce sera grignotage, et coucher à la dure sur une natte. Le seul luxe est une moustiquaire. Nous sommes assoupis depuis 2 heures quand des voix me réveillent. Je soulève la moustiquaire et, au milieu de la nuit, découvre mon premier homme fleur. Vétu uniquement de l'espèce de string traditionnel, d'un collier et d'un bandeau dans les cheveux, Aman Lape m'apparaît à la fois fraternel et irréel, dans mon sommeil interrompu. Derrière lui, un autre personnage aussi mystérieux que je distingue mal, quelques brindilles enflammées à la main en guise de lampe torche. De sa poitrine, il ne reste que les tétons, mais c'est bien une femme. Une petite vieille ridée, aussi chargée de bijoux et ceinte d'une espèce de pagne. A contre jour, je ne vois pas les tatouages de l'homme, mais juste la peau luisante sur un corps musclé malgré l'âge.

Ca y est, je suis bien arrivé dans ce pays mystérieux où des gens sont censés vivre comme leurs ancêtres depuis toujours !
Et il va falloir maintenant nous serrer à 5 dans la cabane à cochons pour le reste de la nuit !

les zorganisés chez les primitifs


Faut-il aller aux îles Mentawai ? Faut-il aller voir des peuples qui ont gardé de fortes traditions ancestrales au risque de les détruire par notre simple contact ? Comment aller dans un endroit où il n'y a pas de routes mais seulement des rivières et des chemins boueux dans la jungle ? Faut-il prendre un guide depuis Sumatra ou le chercher en arrivant sur l'île ?

Ces questions me travaillaient, comme elles animaient d'autres routards, alors que je goûtais les charmes des environs de Bukittinggi. Finalement, 2 jours avant le départ du ferry (il y en a 2 par semaine), je décidai d'y aller et de le faire savoir à la ronde afin qu'un guide indonésien m'agrège à un éventuel groupe en partance.
Mais de groupe, il n'y avait que celui d'Adeo , organisé depuis la France et que j'estimais au complet avec ses 7 membres.

Je partirai donc seul. Deux jeunes slovènes sont aussi en partance, sans guide, le soir. Et une Française, Jeanine, qui se jette sur moi pour me proposer de grouper nos forces. Pourquoi pas et pourquoi pas avec les 2 filles slovènes ? J'essaie de voir si les projets sont compatibles... Pour le groupe organisé de Français, c'est la sérénité d'un programme qui se déroule. Pour les individuels, tout reste à inventer.

Les Slovènes sautent du ferry, au petit matin, sans attendre personne, pour aller vers la ville, à 5 kilomètres. Je les file. Je suis de loin leur négociation avec un guide. Quand elles la croient aboutie, elles font un scandale sur des prestations qu'il avait annoncées comprises mais qui deviennent supplémentaires. Il ne veut plus y aller. Ils se rabibochent. Elles veulent bien que je me joigne à elles - il y a des frais fixes à partager - mais n'y montrent pas d'enthousiasme. Elles filent vers le débarcadère en mobylette avec leur guide...

Jeanine semble s'être agrégée au groupe des Français. Et je n'ai pas rencontré de guide convaincant. Je suis donc au point zéro. Se profile une nuit en ville pour chercher la clé pour la suite.

Au débarcadère, à midi, je demande tout de même où vont ces barques à moteur et ces pirogues qui partent ? En voilà une pour Matotonan : où est-ce ? Le village le plus éloigné en amont sur la rivière, sur la petite carte que je viens de me faire imprimer au bureau du parc national. 4 heures de pirogue à moteur. Il y a de la place à bord. Soit, départ dans une heure !

Me voilà donc parti vers le hasard, l'aventure ! Et l'aventure, après, c'est l'hébergement. Chez qui débarquer ? Et la nourriture. Me donnera-t-on à manger ? Je ne peux pas emmener une semaine de provisions comme les groupes organisés qui ont des porteurs. Comment se déplacer ? Je ne peux pas "trekker" entre les villages sans guide. Mais, c'est parti !

Comme dans la course au trésor, je rattrape et dépasse les Slovènes arrêtées sur la rive sur panne mécanique. Puis les barques des Français arrivés à destination. Plus loin que tous, je pars !

Une semaine plus tard, j'en ai eu des moments difficiles. Surtout au début, dans le village de Matotonan où la foule m'est tombée dessus pour m'arracher toutes les cigarettes du monde possibles, où les grandes déclarations d'amitié de mon hôte se sont terminées en exigences financières désagréables, où chacun voulait sa photo (vive les appareils numériques !). Mais aussi plein de moments à partager leurs palabres, leurs repas, le plancher dur de leur maison, la rivière où ils se lavent, leurs activités quotidiennes, une cérémonie pendant toute une nuit. Ne sachant jamais ce que serait le programme du jour, quand on me donnerait à manger ni quand ni comment rejoindre quelle destination suivante...

Les Slovènes, elles, ont fait vivre l'enfer à leur guide. Et probablement réciproquement. Bataillant pour faire respecter le contrat. Ne buvant que de l'eau en bouteille et se plaignant des conditions de confort. Pour finir, le ferry pour les ramener sur le continent a été annulé et elles ont dû payer les yeux de la tête pour affréter une vedette afin de ne pas manquer leur avion du lendemain !

Et les Français d'Adeo, cette aventure ? Eh bien, pas vraiment d'aventure ! Suivre le guide pendant les marches (certes difficiles et pénibles dans la boue, sur des troncs glissants, dans un paysage sans cesse renouvelé à l'identique). Se poser dans les maisons sélectionnées pour eux. La nourriture ? Ils ne l'ont jamais partagée avec les habitants puisque, après les avoir fait manger, leur guide nourrissait aussi la famille d'accueil, avec les produits ramenés de Sumatra. Le sagou que j'ai mangé tous les jours, ils l'ont juste goûté à titre culturel. Le porc qu'on me servait tous les jours ? Ils n'ont pas mangé de viande de la semaine. Les champignons, les petites moules de rivière..? Rien. Quant aux activités auxquelles ils ont assisté, il n'était que trop clair que les "démonstrateurs" étaient spécifiquement rémunérés pour chaque "show" et ils leur disaient quand il fallait prendre les photos !

Et la cérémonie à laquelle j'ai assisté une nuit entière - le rêve de tout "aventurier" aux Mentawai ! -, sans compter les plus petites liées à l'administration de "médicaments" traditionnels, ils n'en ont pas entendu parler alors qu'ils résidaient dans le même village que moi une nuit plus tôt !

Jusqu'au bâteau du retour où on les a amenés à 17.00 alors que je savais depuis midi que le départ était pour 22 ou 23.00 !

Résultat, ils sont revenus avec l'impression que les populations qu'ils ont rencontrées vivaient du tourisme en se livrant à une sorte de mise en scène à leur intention. J'ai, moi, vu des gens s'occuper tous les jours de leurs bêtes, partir à la recherche de leur nourriture dans la forêt (sagou, durian...), et pratiquer des rituels auxquels ils accordent une importance vitale. Pas le même voyage !

Pas le même prix non plus ! Sur les 2300 € qu'ils ont payé pour 3 semaines à
Sumatra (vol compris), peut-être 500 € pour l'expédition Mentawai ? Elle est vendue (la même puisque ce sont les mêmes guides locaux, mais sans l'accompagnateur français qui, dans le cas d'Adeo, ne parlait pas indonésien, à peine anglais, et n'avais jamais mis les pieds dans le coin. S'il avait été débrouillard, encore...) autour de 180 € à Bukittinggi. A peine moins sur place. Et les 9 jours, ferry compris, ont dû me revenir autour de 80 €.
Et encore, une arnaque vendue par Native Planete , sous couvert d'éco-tourisme humanitaire, où un Jean-Philippe se propose de vous emmener dans sa "famille adoptive", chiffre à 3395 € !!! (sans vols)

Alors, amis zorganisés, j'ai pitié pour vous. Certes, quand on ne parle pas indonésien - déjà que peu parlent indonésien sur l'île -, s'engager seul nécessite un gros coeur. Mais vous le faire, comme on vous le fait, est-ce que ça vaut le coup ?

PS : qui est-ce qui vient se le refaire en "sauvage" avec moi ?!

samedi 18 juillet 2009

de la modernisation de l'enseignement de la chimie organique en Indonésie


Les 3 ans qu'il a passés en France, à Montpellier, dans un labo de l'école nationale supérieure de chimie ont laissé un très bon souvenir à Ibrahim. En France, on réfléchit, on respecte... Et il en a profité pour visiter, avec sa femme qui l'accompagnait, et son jeune fils, les plus beaux endroits de notre beau pays : Paris, la côte d'azur, le Mont Saint Michel... et les pays voisins : Italie, Espagne, Pays-bas...

Il ne rêve que d'y retourner. D'ailleurs, si je le rencontre à la descente de l'avion en provenance de Jakarta, c'est qu'il revient du ministère où il est allé plaider son dossier. Une candidature pour un stage de 4 mois dans le service qu'il avait fréquenté à l'époque, à Montpellier. Objectif : la modernisation de l'enseignement de la chimie organique. En clair, aller vers une démarche participative des étudiants en lieu et place de l'exposé magistral en vigueur.

Ibrahim a 65 ans. Il doit prendre sa retraite à 70 ans. Comme il dit, c'est tout à fait normal car ce n'est pas un métier stressant. Ne doutons pas que la révolution de l'enseignement de la chimie organique en Indonésie ne soit en marche !

("une" dernière : son dossier a été refusé pour cette année. A suivre pour son 66ème anniversaire !)

dimanche 12 juillet 2009

éloge de la dénatalité

« En permettant l’homme, la nature a commis beaucoup plus qu’une erreur de calcul ; un attentat contre elle-même. » Emil Cioran.

"Homo sapiens est la pire espèce invasive.
5,2 milliards d’hectares sur 13 milliards (40 %) de terres émergées sont menacées d’une irréversible désertification.
Notre monde est passé de 250 millions à quasiment 6,7 milliards d’habitants depuis l’an 1 de l’ère chrétienne.
Pour détailler un peu et prendre le pouls démographique de chaque grande contrée, donnons quelques chiffres comparatifs depuis Jésus-Christ jusqu’à l’an 2000 : Chine (et Corée) de 70 millions à 1,280 milliard ; Inde (Pakistan et Bangladesh compris) de 45 millions à 1,320 milliards ; Japon de 300 000 à 126 millions ; Europe (et Russie) de 40 à 782 millions ; Afrique (sans l’Afrique du Nord) de 12 à 660 millions ! ; Océanie de 1 à 30 millions ; Amérique du Nord de 2 à 307 millions ! ; Amérique latine de 1 à 600 millions.
En augmentant de 4 milliards, la population planétaire a triplé depuis 1950.
Chaque jour, il y a environ 400 000 personnes en plus sur la Terre et la population actuelle de 6,7 milliards d’êtres humains s’accroît chaque année de plus de 80 millions de personnes.
..."
Michel Tarrier

Si le sujet vous intéresse - si l'avenir de l'humanité vous intéresse, quoi ! -, je tiens à votre disposition (sur simple demande par email à : bpol@voila.fr) l'article complet (une quinzaine de pages à lire en une demi-heure).
Ah oui, j'oubliais, la population humaine a été multipliée par 2 depuis que je suis né ! Pourvu que ça dure !!

Et pour ceux qui auraient plus d'une demi-heure à consacrer à l'avenir de l'humanité : "Et si l'aventure humaine devait échouer", Théodore Monod.

vendredi 10 juillet 2009

dos au mur !


Les petites serveuses de Pizza hut sont bien briefées. En Indonésie, les MacDonald's, KFC, et autres Pizza hut sont plutôt des endroits "bien". Beaucoup plus chers que les petites gargottes locales. Mais, outre l'air conditionné, les toilettes, la propreté et la nourriture occidentale, le personnel a visiblement été soumis à un courageux training. Une hôtesse vous attend donc à l'entrée de Pizza hut pour vous ouvrir la porte et vous remettre le menu. Une autre vous accompagne à votre table...

Mais il reste toujours une place pour le retour du naturel ! Je vois ainsi, un jour, une Européenne se faire guider jusqu'à une table au fond du restaurant, contre le mur. Et la serveuse de gentiment lui tirer une chaise du côté qui fait face au mur !

Tous les soirs - car je m'y suis plû et ai prolongé le plaisir de l'hospitalité d'Ibrahim -, nous allons dîner à 3, avec Ibrahim et sa femme. Je n'oublie plus jamais d'emporter ma fourrure polaire dans sa voiture (cf "un dimanche à la campagne").

Restaurant de poissons, le premier soir, au bord de la plage, enfin de l'autre côté de la route. Mes hôtes s'installent côte à côte face à la route et la mer. Le spectacle ne sera que celui du restaurant pour moi...

Le lendemain, nous allons au Texas chicken, un MacDonald's qui ne dit pas son nom. Non que le spectacle offert par les baies vitrées soit grandiose. Mais, de toutes façons, c'est le comptoir et le mur du fond qu'il m'est donné de contempler.

Hier, un restaurant un tantinet plus luxueux - puisque c'est moi qui paie ! Loger chez Ibrahim me revient sensiblement plus cher que loger à l'hôtel !-, bien qu'au décor minimaliste (ambiance union soviétique, peut-être ?). Eh bien, savez-vous ? Miracle ? Ibrahim et sa femme s'installent dos à la devanture vitrée ! Moi, j'échange un grand sourire avec le musicien qui est installé à 3 mètres de notre table et dont nous fredonnerons quelques airs dans la joie. J'échangerai un autre sourire avec lui en partant. Entre temps, je lui aurai tourné le dos pendant tout le repas !

mercredi 8 juillet 2009

L'oeil regardait-il Ibrahim ?


Je demande à Ibrahim où il logeait pendant ses 3 jours passés à Jakarta. Peut-être chez des amis ?
- Non, à l'hôtel, c'est mieux.
- Pourquoi ?
- Parce qu'on peut faire venir des filles.
- Ah ! Mais quand on est musulman, on a le droit de faire ça ?
- Bien-sûr, si la femme ne le sait pas ! Sinon, ça crée des problèmes.

Comme tous les musulmans tiennent ce discours avec la même décontraction, je crois que je vais choisir le ciel des musulmans plutôt que celui des chrétiens : on peut l'avoir pour moins cher. L'oeil ne semble pas regarder Caïn pourvu qu'il soit dans une chambre d'hôtel !

mardi 7 juillet 2009

le chat d'Ibrahim

Le chat d'Ibrahim est blanc avec quelques tâches rousses. Pas bien gros, comme la plupart des chats indonésiens. Il est calme et mignon. Et si je ne le caresse pas, c'est juste qu'on n'est jamais sûr que les chats d'ici sont bien propres. Mignon, en fait, surtout de son profil gauche. Car je découvre qu'il a le cou complétement déchiré sur le côté droit. Sans doute un chien qui lui a enlevé tout un morceau de peau, comme si on l'avait attrapé par la peau du cou et qu'elle nous était restée dans la main. On voit donc "dedans". C'est horrible. J'en ai encore le cou qui se crispe rien qu'à y penser.

Personne ne s'occupe de lui. Ou plutôt, pfff, pfff, on le pousse dehors de la maison. Visiblement, il n'aura pas droit au vétérinaire. Comment peut-on guérir d'un truc pareil ? Il faudrait au minimum des points de suture, un traitement pour aseptiser cette ouverture... Il doit mourir un jour où l'autre, je ne vois pas d'autre issue. Mais, en attendant, il déambule calmement, nous offrant son lambeau en spectacle. Probablement n'aurais-je pas été de ceux qui tendent la main aux lépreux : je détourne le regard et lui refuse tout geste d'affection, dont il aurait probablement besoin pour quitter apaisé ce monde.

Voilà un moment que je n'ai plus vu le chat d'Ibrahim. Un soulagement. Mieux vaut ne pas voir la misère qu'on ne peut soulager. J'évite de demander où il est passé. Je me contenterais volontiers d'imaginer qu'il est allé s'éteindre au fond du jardin, empoisonné par les microbes plus vite que je ne le pensais, et sans trop souffrir. Je préfère ne pas savoir.

En prenant la voiture, hier soir, pour aller dîner, Ibrahim me dit :
- ma femme est triste
- pourquoi ?
- parce que mon fils a jeté le chat à la rue
- comment cela ?
- oui, il avait peur qu'il contamine la maison, alors il l'a jeté aux voitures
- il l'a jeté sur la route pour le faire écraser ?
- non, avec notre voiture.
- il l'a écrasé avec votre voiture ?
- oui.

Paix à l'âme du chat d'Ibrahim.

lundi 6 juillet 2009

Un dimanche à la campagne


Je profite d'une place qui se libère à l'avant du bus qui mène de l'aéroport au centre de Padang. "Vous êtes français ?" m'interpelle un homme sur le siège d'à côté. "Oui, comment le savez-vous ?". "Votre guide du routard : Indonésie, écrit en français" (je venais de l'échanger contre mon vieux lonely planet en anglais et quelques roupies dans un "book exchange" : ça tient à peu de choses !).

Ibrahim est professeur de chimie organique à l'université de Padang. Il a passé trois ans dans un laboratoire de Montpellier il y a 20 ans. Et je ne crois pas avoir rencontré Indonésien qui parle aussi bien le français. Il me propose derechef d'aller loger chez lui, ce que j'accepte illico.

Sitôt dans la voiture avec laquelle son fils est venu nous chercher à l'arrêt de bus, il me dit : "Demain je vous emmène visiter les environs, d'accord ? Mais vous payez l'essence ; moi, je fournis la voiture, ça va ?" Ca paraît un très bon deal ; j'accepte bien volontiers.

Il s'avère que tous les dimanches il emmène sa femme faire un tour - cette semaine, l'essence sera donc gratuite !-. Un grand tour, même. Je fais de la résistance sur le tour proposé : il veut me faire faire en un jour le programme que j'ai prévu pour une semaine ! Et à la vitesse à laquelle on circule en Indonésie, on n'aura pas beaucoup le temps de sortir de la voiture !

Mais pour le moment, on va dîner, en voiture. La clim souffle fort. Je tempête avec humour contre ce vent froid qui me gèle. Ca le fait rire. Au retour, il tournicote gaiement pour me montrer la ville. Je suis frigorifié quand nous rentrons à la maison. Il s'excuse pour l'absence de clim dans ma chambre, contrairement à la sienne et celle de son fils. Je lui dis que ça ira très bien !

Nous embarquons donc en ce dimanche matin, moi avec ma polaire que j'enfile rapidement. Amusement dans la voiture ! Ces Européens !

Nous passons à la pompe : c'est ma participation à l'excursion ; au moins, ce sera fait.

Agréable route de montagne. Végétation luxuriante comme celle de la montée de Tucuman à Tafi del Valle (pour ceux qui ont suivi mes aventures précédentes en Amérique du sud ! benoitpollet.blogspot.com). Elle serait parfaite pour un tour en vélo si la circulation n'y était pas embouteillée en diable. Des camions bâchés - chargés de charbon comme le démontre parfaitement un camion renversé à l'extérieur d'une épingle à cheveux, tout son chargement répandu - croisent des armées de minibus, mobylettes et voitures. Tout ce monde se met au pas du véhicule le plus lent dans cette montée assez rude. Une bifurcation nous extrait vers un peu plus de calme et de beaux lacs, à 1500 m d'altitude, probablement vestiges d'une ancienne caldeira que domine le volcan Palang dont s'échappent des vapeurs blanches. Merci, Ibrahim, de m'avoir sorti des itinéraires du guide du routard pour découvrir ce bel endroit.

Soudain, Ibrahim s'arrête sur le bord de la route. "Qu'est-ce qu'on fait ?". "Pause, c'est dangereux de rouler avec la fatigue". OK, je fais comme lui, j'allonge le siège (lui le déplie sur les genoux de sa femme qui fait du crochet à l'arrière). Après 30 secondes, il se redresse, boit un coup, relève le siège, et démarre. "Déjà ?". "Oui, ça suffit".

Je demande à Ibrahim s'ils profitent de ces sorties du dimanche pour rencontrer du monde. "Non, juste ma femme et moi. On aime voir les paysages. On ne rencontre personne". De fait, il m'annonce peu après que nous allons passer à sa maison de jeunesse, où nous sommes reçus par la "famille". Notre arrivée n'était pas annoncée mais, pendant qu'Ibrahim et sa femme font, chacun de leur côté, leur gymnastique tournés vers la Mecque, des plats s'installent sur la table basse du séjour. En partant, Ibrahim leur glisse un billet de 20000 roupies (1.5 €, ce qui n'est pas négligeable au niveau des prix local).

Nous ne sommes pas repartis depuis 10 minutes qu'Ibrahim stoppe la voiture sur le bord de la route ; enfin 2 roues sur le bas-côté, et le reste sur la chaussée. Et nous avons rejoint la grand route ! "Fatigué, c'est dangereux", dit-il en dépliant son fauteuil de conducteur. Je fais de même tout en faisant remarquer que nous ne sommes pas très bien garés et que c'est un peu risqué. En fait, c'est terrifiant ! Devoir faire la sieste à moitié sur la chaussée d'une route fréquentée ! Heureusement, cela ne dure pas plus de 30 secondes, à nouveau.

Nous ne sommes pas repartis depuis quelques minutes et plus qu'à quelques centaines de mètres du lac de Singkarak, qu'on aperçoit déjà, qu'Ibrahim se gare à nouveau. Cette fois nous sommes à l'abri. Et c'est au moins 12 minutes de repos.

Le lac de Singkarak est scintillant dans le soleil de l'après-midi. On le longe comme le lac du Bourget entre Aix-les-bains et Chindrieux. Un arrêt dans une guinguette. Un autre devant une belle cascade.

La circulation redevient dense sur le retour vers Padang, mais nous avons passé une belle journée. Pas tout à fait finie toutefois, car nous repassons à la pompe. Eh oui, puisque c'est moi qui paie, aujourd'hui !