jeudi 17 septembre 2009

Le propriétaire - ACTE I


"Le propriétaire", un drame en 3 actes (ne respectant toutefois pas forcément tous les canons d'unité de lieu, de temps et d'action, de la tragédie grecque) sur les rives enchantées de l'océan indien.

ACTE I

Scène 1
B., un Français au milieu de la quarantaine, dîne tranquillement au Bong's café à Kuta-Lombok, en mai 2008. Mambo, le jeune et entreprenant patron de l'endroit, vient bavarder et lui demande s'il ne veut pas acheter un terrain : "Non, pas particulièrement, je suis juste là pour voyager. Pourquoi, vous vendez un terrain ?" Et d'expliquer qu'ici tout le monde achète et vend, et va faire fortune ! Un aéroport international est en construction à 15 km de là (l'actuel est à 60 km et ne reçoit que des vols domestiques, qu'on ne peut pas acheter depuis l'étranger car toutes les compagnies indonésiennes - à l'exception de Garuda, récemment réhabilitée - sont en liste noire).

De fait, un trio franco-indonésien, expatriés de Jakarta, s'installe pour diner. B. les entend parler foncier. Le trio se retrouve en discussion d'affaires avec Mambo et ils concluent de visiter un terrain le lendemain matin, avant leur avion pour Jakarta. B. sollicite de se joindre à eux pour voir de quoi il retourne. Et les voilà de bon matin, traçant dans la broussaille jusqu'à ce que se révèle la magnifique côte, découpée, ourlée de plages de sable blanc, et ponctuée de caps et de sculptures dignes de l'aiguille creuse chère à Arsène Lupin. De là à investir... B. préfère continuer ses vacances sans y penser.

3 jours plus tard, à un mariage où B. s'est invité, Ibi, un jovial local lui confie avoir un terrain à vendre, et annonce un prix du tiers de celui du terrain visité avec les Français. Mais, bon... Mambo aussi a d'autres occases à montrer. Et il veut s'associer (grosso modo avec quelqu'un qui fournisse le capital et partage les bénéfices au moment de la revente !).

Scène 2
Quelques jours plus tard, B. ayant 3 jours à "tuer" avant son retour vers la France, décide de revenir à Kuta et élucider ces terrains. Un premier tour d'horizon avec Mambo : non.
En vue de la dernière visite, avec Ibi, B. va se ravitailler en eau . Et voilà que la jeune vendeuse lui demande s'il ne veut pas acheter un terrain. "Pourquoi pas ?! Mais à condition d'aller le voir immédiatement." Son mari, Tarip, grimpe sur la mobylette de B. et les voilà partis... pour 20 m, car ils tombent sur Ibi : "C'est le même terrain que je voulais te montrer !", dit-il. Tant mieux, voilà du temps de gagné, mais, qui est réellement propriétaire de ce terrain ?!

Visite avec Tarip. Il se trouve que le terrain est immédiatement mitoyen de celui visité avec les Français, mieux orienté, plus accessible (même si la maîtrise foncière de l'accès n'est pas acquise) et... 2 fois moins cher que son voisin ! (le prix a déjà monté depuis l'annonce par Ibi !) Logique, B. plonge sans attendre et déclare à Tarip qu'il l'achète !

Scène 3
Rendez-vous est pris avec le vrai propriétaire du terrain, le père de Tarip, et le chef du village pour le début d'après-midi. Ce dernier organise le passage chez le notaire pour le lendemain, samedi matin. Et lance sur le tapis le montant de "l'impôt" à lui verser. Comment contester ou demander de justifier ?

Outre la quasi-impossibilité qu'il y a à savoir ce qu'il faudra payer à qui et pourquoi, devenir propriétaire en Indonésie présente une difficulté qu'il faut tout de même signaler : un étranger ne peut pas devenir propriétaire ! Il lui faut donc un prête-nom autochtone. Et les juristes et notaires ont mis au point un imposant arsenal d'actes pour détourner la loi en conservant au payeur la maîtrise de son investissement, et retirer quasiment tout pouvoir au prête-nom. Accessoirement, tout ce fatras juridique les enrichit...

Il se trouve que B. a déjà tous les modèles de documents en poche, récupérés en vue d'un autre projet, tué depuis. Mais pas bien le temps de mettre tout cela en oeuvre dans cette phase initiale : il a son avion pour Jakarta puis la France le mardi matin. On fera avec les documents du notaire pour la promesse de vente et l'accord de prête-nom. B. a beau expliquer que ces 2 documents doivent être "adossés" (comporter les mêmes clauses) et qu'il est dangereux de signer la promesse de vente samedi alors qu'il se réserve le dimanche pour relire le contrat de prête-nom et demander d'éventuelles modifications. Rien n'y fait. Il arrive juste à faire rajouter une clause prévoyant la possibilité d'annulation de la vente si le cadastre n'émet pas le certificat de propriété dans les 6 mois. Car le terrain relève d'une propriété coutumière et il convient de passer à un certification plus formelle. Quant à expliquer que la somme à restituer devra être augmentée d'un intérêt annuel, mais appliqué au prorata du temps observé, correspondant à ce que la banque aurait rémunéré son argent, c'est un challenge.

Lundi matin, B. retire, à la banque, l'acompte à verser. Les machines comptent 1700 billets. Une grosse brique. B. fait une première fausse sortie pour vérifier qu'on ne l'attend pas avec un couteau au coin de la rue -il avait lâché le nom de sa banque à ses vendeurs !-, puis s'engouffre dans un taxi, direction le notaire.

Ambiance de fête : tout le monde est là ! Le vendeur et sa femme. Son fils Tarip avec femme et enfant. Ibi, qui sera prête-nom, et sa femme. Le chef du village, celui du quartier. Et B. qui remet le gros magot au vendeur, un petit au chef du village qui se charge d'obtenir le certificat de propriété auprès du cadastre et un plus petit encore à la notaire, alors que tout le monde signe et applique ses empreintes digitales. La notaire remercie B. pour les enseignements qu'il a prodigués dans la rédaction des clauses des documents signés !

Direction l'aéroport pour B. qui a conclu l'affaire en 72 heures, dont 36 non ouvrables !
Et rendez-vous une fois le certificat de propriété émis par le cadastre pour le deuxième acte.

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